…. Neuf ans
…. Béatrice,
…. As-tu déjà pensé que ton papa avait eu neuf ans ? Qu’il a été un petit garçon comme toi tu es une petite fille ? Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mon enfance, j’en cherche pour essayer de deviner ce que tu ressens, à quoi ressemblent tes journées.
…. A neuf ans, j’avais quelques secrets que je cachais à mes parents. Des pas bien graves. D’autres que je pensais plus graves, mais qui avec le temps se sont révélés futiles. Si tu as des secrets que tu ne veux pas dire à des adultes, Béatrice, chuchotes les moi le soir, avant de t’endormir. Ou la journée, dans un endroit que tu auras aménagé exprès, la cache à secrets pour papa. Je ne les répèterai pas. Je les écouterai avec attention, et je garderai pour moi tout ce qui est lourd à supporter pour toi. Tu es d’accord ? Une fois que tu les lui auras confiés, ton papa pas là emmènera avec lui loin de toi tout ce qui rend la vie de sa fille difficile. Il les dispersera au dessus des champs et par delà les montagnes pour qu’ils deviennent légers et voyageurs comme le vent...
…. A neuf ans, avant de s’endormir, ton papa rêvait qu’il construisait une grande maison pour sa famille, avec un parc immense pour les animaux. Ça ressemblait à un manoir ; je passais des heures à m’imaginer en train de peindre les murs. Je les voulais marrons et jaunes, même si quand j’ai été grand j’ai changé d’avis. Je me promenais en rêve autour de la maison, les allées étaient bien entretenues et les massifs de fleurs alignés impeccablement. J’entrais, et dans chaque pièce il y avait un balcon, des fauteuils confortables, des fenêtres immenses. Des cheminées.
…. Finalement, quand je suis devenu grand, la maison que j’ai faite construire ne ressemblait pas à celles de mes rêves de gamin. Ce n’était pas ça l’important. L’important, c’était de l’avoir rêvé, tellement de nuits, et d’avoir réussi à y vivre, avec toi, même si ça n’a été que dix-huit jours. Ton rire, en vrai, c’était mieux que les murs extérieurs en jaune et marron.
…. A neuf ans, j’étais terrorisé quand j’essayais de me représenter la taille de l’univers. Je me demandais comment c’était possible, qu’on n’arrive pas à savoir où il s’arrêtait, ni ce qu’il y avait derrière, ou avant, ou après. Je n’en parlais à personne, mais ça m’empêchait de m’endormir, je me retournais dans mon lit en me disant que c’était impossible d’exister dans un endroit dont on ne savait pas s’il était le centre ou le contour, le commencement ou la fin d’autre chose.
…. Comme l’idée qu’il y avait des monstres, sous mon lit. Je n’appelais personne, parce que je savais bien qu’il n’y en avait pas, mais j’avais peur qu’en appelant ils se manifestent quand même. Toi, Béatrice, tu peux m’appeler, si tu as peur, m’appeler tout doucement, me susurrer que tu te demandes si les bêtes sont là, et tu verras, de l’avoir dit, ça les fera disparaître. Pour l’univers, je ne sais pas. Mais peut-être que toi, ça ne t’inquiète pas. Ce qui t’inquiète, je ne le sais pas encore. Mais ce soir, tu me le diras.
…. Je te souhaite un bon anniversaire, ma fille chérie, de la joie, et plein de secrets murmurés à ton papa qui t’aime.