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Channel: Droit de Cités » 18 lettres à ma fille, un atelier d’écriture en ligne / Arnaud Friedmann
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18 lettres à ma fille / chapitre 4

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Ce texte participe d’un atelier d’écriture en ligne

/ proposé par Arnaud Friedmann.

/ vous pouvez connaître la règle du jeu ici, si vous souhaitez participer et rédiger la lettre des dix ans, en adressant votre texte avant dimanche 15 novembre à 19h.

.

…. Aujourd’hui, à l’heure du repas, je cherche à apprendre à Béatrice l’utilisation de ses couverts pour enfants. Je les ai trouvés dans un tiroir de la cuisine, les manches en plastique blanc avec le dessin d’une souris verte. Préparés par Nathalie, déposés là par nos amis. Ont-ils pensé que la naïveté m’emplirait à ce point de tristesse ?

…. Je me reprends, remplis une cuillère de compote, la porte à ma bouche, puis la tends à ma fille, vide. Je luis dis : « A toi ». C’était étrange, de l’éduquer à quelques jours de mon départ pour l’hôpital. D’investir dans son avenir. Jusque là, tous les progrès qu’elle avait réalisés me semblaient relever du hasard.

…. Elle plonge la cuillère dans le pot. La remplit. Me la tend. J’éclate de rire. Elle m’imite, nous rions ensemble. Je n’ai pas eu ce genre de rire depuis l’annonce de ma maladie. Je n’avais jamais ri, vraiment, avec Béatrice. J’avais renoncé à l’espoir que ce que ça nous arrive, je m’en rends compte à l’intensité de ma joie. Il faudra que je lui raconte, tout à l’heure, dans la lettre des dix ans ; que nous avons ri ensemble, le père et la fille. Une famille.

…. Je gobe la portion de compote qu’elle m’offre, et nous alternons : une cuillerée pour papa, une cuillerée pour Béatrice. Elle sourit, ravie de ce nouveau jeu.

…. Sans la maladie, il y aurait eu un jour où à son tour, elle m’aurait nourri à la cuillère. Une soixantaine d’années aurait séparé les deux scènes, des Noëls, des conflits, des rancœurs. Elle aurait fixé les murs de la maison de retraite d’un air pressé, sans se souvenir du premier éclat de rire partagé autour de la première cuillerée. Elle aurait eu des traits de femme adulte, de presque vieille elle aussi, des traits que je ne parviens pas à me représenter.

…. Je devrais me réjouir que ma mort lui épargne mon visage émacié, la peau de mes mains pervertie par les taches, l’odeur blanchâtre des mouroirs où l’on rencogne ses vieux. Tout à coup je me sens triste, au contraire, que notre échange n’ait pas d’écho dans ma vieillesse. Ça ôte de la douceur à nos gestes.

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Ce texte participe d’un atelier d’écriture en ligne

/ proposé par Arnaud Friedmann.

/ vous pouvez connaître la règle du jeu ici, si vous souhaitez participer et rédiger la lettre des dix ans, en adressant votre texte avant dimanche 15 novembre à 19h.


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